Compositeurs

Johannes Maria Staud (*1974)

Un regard rapide dans les partitions de Johannes Maria Staud, né à Innsbruck en 1974, laisse déjà deviner avec quelles précision et richesse de détails sa musique est conçue. L’écriture manuscrite minutieuse, parsemée d’innombrables indications et entremêlée d’indications d’interprétation suggestives, le prouve : voilà quelqu’un qui exprime de façon très précise sa vision et qui transcrit ses représentations avec la sûreté de main d’un professionnel et la finesse d’un scalpel.
Dans sa musique, malgré la grande diversité des images sonores chatoyantes, ses figures aux lointaines ramifications et ses formes foisonnantes, il n’y a pratiquement aucun danger de perdre de vue l’ensemble. Car Staud n’est pas homme à laisser livrées à elles-mêmes sa propre fantaisie et celle de ses auditeurs dans des associations sans but ; au contraire, il sait concevoir des paysages musicaux munis de panneaux indicateurs suggérant des directions, sans pour autant les fixer sur de fausses univocités.
Staud dévoile volontiers et avec conviction les multiples centres d’intérêt dans lesquels il trouve ses sources d’inspiration. Comme un filet, ses compositions enserrent les références extra-musicales qui proviennent souvent de la littérature, depuis son œuvre de jeunesse Bewegung pour piano solo, née en rapport avec La Nausée de Jean-Paul Sartre, en passant par Die Ebene pour récitant, cor, 2 trombones, 2 percussions, piano, 2 violoncelles et contrebasse d’après Hans Arp, ou Vielleicht zunächst wirklich nur pour soprano et 6 instruments d’après Max Bense, jusqu’à la pièce récente pour orchestre On Comparative Meteorology, qui renvoie aux récits de Bruno Schulz.
L’inspiration due aux arts plastiques et la représentation de formes géométriques (Polygon. Musique pour piano et orchestre, suggérée par The 2000 Sculpture de Walter De Maria) ont aussi laissé des traces dans son œuvre, de même que des films (Black Moon d’après le film de Louis Malle), des installations vidéo – comme Violent Incidents (Hommage à Bruce Nauman) –, mais aussi les préoccupations du compositeur avec des sciences très diverses : c’est ainsi qu’une théorie sémiologique constitue le point de départ conceptuel de A Map Is Not The Territory, qu’un terme de botanique sert de réflexion pour Dichotomie pour quatuor à cordes ou qu’une réflexion terminologique du philosophe présocratique Anaximandre de Milet sert de prétexte au couple d’œuvres disparate Apeiron. Musique pour grand orchestre et Peras. Musique pour piano.
La fantaisie créatrice de Staud peut être enflammée aussi bien par l’idée abstraite d’une œuvre, qui « conserve sur toute sa durée la potentialité du début » (Incipit-Zyklus) que par des réflexes hautement émotionnels comme « la colère sur la constitution de ce gouvernement autrichien tout à fait insupportable » de l’année 2000 (… gleichsam als ob… pour orchestre) ; bien sûr, toutes ces réflexions et influences disparaissent dans la cohérence interne de la musique.
En même temps, le compositeur dispose de manière virtuose d’un vaste spectre de moyens sonores lui permettant, tout en nuançant finement, de manier des effets saisissants. Parfois, il recherche consciemment le grand geste, mais il le canalise toujours par des moyens plus subtils. Parfois encore, Staud laisse entrevoir des réminiscences tonales, par exemple sous la forme de motifs récurrents d’une tonalité centrale, en introduisant une diversité sonore, entre le son et le bruit, pour enrichir des contours trop clairs, les brouiller ou les illustrer de manière efficace.
Même si ses compositions se rapprochent d’autres sphères musicales, il sait les fondre sans couture dans ses propres moyens d’expression : qu’il se réfère à un fragment de Mozart, comme dans Segue. Musique pour violoncelle et orchestre, ou fasse une incursion dans la sphère pop, comme dans son opéra Berenice (livret de Durs Grünbein d’après Edgar Allan Poe), il rompt bien sûr tout de suite avec ces mondes sonores.
Ainsi s’inscrivent dans les partitions de Staud des changements perpétuels de perspective : des contours se transforment en couleurs ou des lignes entremêlées font apparaître des espaces imaginaires, comme dans des kaléidoscopes brisés, révélant perpétuellement des nouvelles constellations avec leur jeu ininterrompu de formes en mouvement. (Daniel Ender - Traduit de l’allemand par Michael Seum et Jean-Marie Bergère - avec l'aimable autorisation de Contrechamps)

Photo : © Jonathan Irons (Universal Ed.)

Oeuvres

Concerts SMC Lausanne

Lundi 05 Décembre 2011 (Saison 2011-2012)
Ensemble Contrechamps
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