Monologos I (1970)

Par l’entremise de la veuve du compositeur, le duo Frank-Krüger a exhumé cette œuvre qui, sinon, serait restée sur une liste d’œuvres bannies. La pièce repose sur l’emploi de deux machines à bande analogique, qui font office de loopers (boucleurs). Les sons émis par la soliste sont donc captés puis réentendus à intervalles réguliers, avec différents effets dynamiques. Ainsi, ces réverbérations continues permettent à une seule chanteuse de jouer la pièce. En effet, « pourquoi finalement mettre plusieurs personnes là où une seule suffit ? » se demande le compositeur.
Si la pièce se suit sur une partition, les interprètes peuvent s’en détacher par moment. Mais cette liberté, il faut se l’octroyer à bon droit : elle n’est pas gratuite. En effet, Ferrari écrit en amont de l’œuvre : « la partition peut être suivie avec précision, ne pas être suivie avec précision, ou même ne pas être suivie du tout. Mais à condition d’avoir grand besoin de liberté, c’est-à-dire de la vouloir. » De ce fait, la durée de la pièce est laissée à une certaine discrétion des musiciens.
Des effets stéréo donnent un mouvement à cette scène surréaliste. Le doux chuintement amplifié par l’écho des parois d’une grotte avance et se meut dans un mirage acoustique. Le moindre impact sonore strie l’espace et crée un contrepoint qui s’éloigne et se rapproche telle une hallucination psychédélique. A lui seul, le tambour de basque recrée les sons d’une armée tout entière : on est entouré par ce décor intangible, composé de réflexions multiples de l’émetteur. Nous voilà assaillis de toutes parts, plongés dans un kaléidoscope infernal, même si l’on n’en distingue pas précisément le relief.
Luc Ferrari a composé plusieurs pièces électroacoustiques, pour lesquelles il créa son atelier en 1972, qu’il appelle modestement le « Studio Billig ». Ses travaux tendent « à exprimer, à travers des moyens différents, des idées, des sensations, des intuitions qui passent ; d’observer le quotidien dans toutes ses réalités, qu’elles soient sociales, psychologiques ou sentimentales ».

Christophe Bitar