Oeuvres
Quatre chants pour franchir le seuil (1996-1998)
Gérard Grisey + Biographie
pour soprano et ensemble
Tout part du frémissement de la peau de la grosse caisse… Sur ce pianissississimo ma audibile, les vents entrent nonchalamment pour y déposer des volutes exquises de grasses subdivisions rythmiques. Ce fond, magmatique, est troublé par l’emploi d’instruments accordés avec un quart de ton de différence que d’ordinaire. Dans les nimbes de D’après "Les heures à la nuit" de Guez Ricord, la soliste exubère et retrace la mort d’un ange. Selon Grisey, celle-ci est synonyme du « deuil de nos rêves ». Cette exubérance se ressent aussi dans la structure métrique globale : ce « léger débordement et une erreur syntaxique signent l’arrêt de mort du poème et du poète ». Les paroles reprennent les mots d’un texte de son ami et poète Christian Guez-Ricord (1948-88), disparu subitement et dont le décès le marquera profondément.
Dans D’après les sarcophages Égyptiens, Grisey revient sur une thématique qu’il avait déjà exploitée dans Jour, contre-jour (1978) où il transposait les caractéristiques des ombres portées en sons différentiels. Ici, l’inspiration lui est venue de la lecture de fragments de hiéroglyphes, mêlés à des bandelettes de momies. Le glas pesant de cette « litanie » nous fait suivre du regard les cénotaphes pillés ou détruits, tel un passage en revue macabre. Puis, D’après Erinna repose sur deux vers (parmi les 54 qui nous sont parvenus) de cette poétesse grecque du VIe siècle avant notre ère : « Dans le monde d’en bas, l’écho en vain dérive, Et se tait chez les morts. La voix s’épand dans l’ombre. » La pesanteur supplicatoire de son jugement s’affermit d’autant que la masse sonore visqueuse sur laquelle elle repose s’allonge.
Enfin, la polyrythmie quasi-tribale du D’après l’Epopée de Gilgamesh donne une granularité sphérique aux sons des peaux frappées (toms, tambour de bois, congas), ponctuée de pseudo coups de gongs aux airs d’un opium hypnotisant.Les vents se prêtent également au jeu, jouant des flatterzunge secs, qui irisent nonchalamment un horizon qui jaunit et finit par réveiller, brutalement, une jungle insoupçonnée. Çà et là, les crotales répondent à la voix, tantôt planante, tantôt pleine de spasmes.
Au cours de cette aventure, les éléments se déchaînent : « bourrasque, pluie battante, ouragan, déluge, tempête, hécatombe, ces éléments donnent lieu à une grande polyphonie où chaque couche suit une trajectoire temporelle qui lui est propre » nous confie Grisey. Suivra une traversée du désert, portée par le fa grave de la contrebasse. Tel un cinquième chant, le balancement onctueux des vagues se fond dans un mouvement de berceuse. Et la soliste de tenter de dire : « Immobile, je regardai l’horizon de la mer, le monde. »
Chacun des quatre chants rappelle une civilisation (chrétienne, égyptienne, grecque et mésopotamienne) et le regard qu’elle porte sur la mort. A cela, Grisey espère que la berceuse qui fait office d’épilogue « ne sera pas de celles que nous chanterons demain aux premiers clones humains lorsqu’il faudra leur révéler l’insoutenable violence génétique et psychologique qui leur a été faite par une humanité désespérément en quête de tabous fondateurs. »
Texte: Christophe Bitar
Dans D’après les sarcophages Égyptiens, Grisey revient sur une thématique qu’il avait déjà exploitée dans Jour, contre-jour (1978) où il transposait les caractéristiques des ombres portées en sons différentiels. Ici, l’inspiration lui est venue de la lecture de fragments de hiéroglyphes, mêlés à des bandelettes de momies. Le glas pesant de cette « litanie » nous fait suivre du regard les cénotaphes pillés ou détruits, tel un passage en revue macabre. Puis, D’après Erinna repose sur deux vers (parmi les 54 qui nous sont parvenus) de cette poétesse grecque du VIe siècle avant notre ère : « Dans le monde d’en bas, l’écho en vain dérive, Et se tait chez les morts. La voix s’épand dans l’ombre. » La pesanteur supplicatoire de son jugement s’affermit d’autant que la masse sonore visqueuse sur laquelle elle repose s’allonge.
Enfin, la polyrythmie quasi-tribale du D’après l’Epopée de Gilgamesh donne une granularité sphérique aux sons des peaux frappées (toms, tambour de bois, congas), ponctuée de pseudo coups de gongs aux airs d’un opium hypnotisant.Les vents se prêtent également au jeu, jouant des flatterzunge secs, qui irisent nonchalamment un horizon qui jaunit et finit par réveiller, brutalement, une jungle insoupçonnée. Çà et là, les crotales répondent à la voix, tantôt planante, tantôt pleine de spasmes.
Au cours de cette aventure, les éléments se déchaînent : « bourrasque, pluie battante, ouragan, déluge, tempête, hécatombe, ces éléments donnent lieu à une grande polyphonie où chaque couche suit une trajectoire temporelle qui lui est propre » nous confie Grisey. Suivra une traversée du désert, portée par le fa grave de la contrebasse. Tel un cinquième chant, le balancement onctueux des vagues se fond dans un mouvement de berceuse. Et la soliste de tenter de dire : « Immobile, je regardai l’horizon de la mer, le monde. »
Chacun des quatre chants rappelle une civilisation (chrétienne, égyptienne, grecque et mésopotamienne) et le regard qu’elle porte sur la mort. A cela, Grisey espère que la berceuse qui fait office d’épilogue « ne sera pas de celles que nous chanterons demain aux premiers clones humains lorsqu’il faudra leur révéler l’insoutenable violence génétique et psychologique qui leur a été faite par une humanité désespérément en quête de tabous fondateurs. »
Texte: Christophe Bitar
Concerts SMC Lausanne
Lundi 15 Janvier 2024 (Saison 2023-2024)
Ensemble contemporain de l'HEMU
+ Programme complet
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