Ménétrier, extrait des Impressions d'enfance (1940)

Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Enescu s’est replié dans son pays natal, la Roumanie, comme il l’avait déjà fait en 14-18. C’est l’occasion pour lui d’enregistrer plusieurs pièces avec son filleul, qui n’est autre que Dinu Lipatti. Il y compose aussi cette œuvre-rétrospective pour violon et piano sur le temps de sa jeunesse qui nous conduit aux abords de l’innocence, de la simplicité d’un ruisseau à la candeur du reflet de la lune.

Ce regard sur le passé s’inscrit dans un style d’une grande maturité. Suivant toujours le sillon du romantisme tardif, Enescu insère, depuis sa Troisième sonate pour violon et piano (1926), des éléments inspirés par le folklore roumain. Enescu écrira d’ailleurs qu’une « pièce ne mérite d’être qualifiée de composition musicale que si elle a une ligne, une mélodie », ce que cette inspiration folklorique lui garantit.

« Ménétrier » est le prélude du cycle, destiné au violon seul, et donne à rappeler la spontanéité d’un musicien de village, qui improvise et se laisse porter par sa créativité. Il n’y a là selon Enescu « pas la moindre allusion folklorique, à peine pittoresque. Le ménétrier est un personnage international ; son humeur et son jeu varient avec les jours, tantôt heureux, tantôt moroses… » Ce ménestrel polyglotte incarne la première des vignettes de ce décor mi-rêveur, mi-nostalgique.

Texte de Christophe Bitar