Standards (2010)

Churning / Tide / Steeplechaser / Calypso-Rag / Concentration

Cette oeuvre pose la question de l’influence du jazz dans le sens le plus ample. Le terme jazz peut recouvrir une grande palette de traditions et de techniques diverses. Très vite, je me suis rendu compte que je ne m’intéressais pas du tout au genre « cross-over » et son mélange de citations assemblées de manière assez superficielle, mais qu’il me fallait chercher un amalgame un peu plus profond, voire structurel. J’ai eu donc l’idée d’écrire une suite de mouvements brefs qui fonctionne exactement comme les standards du jazz (forme de 32 mesures, improvisations-variations sur une forme donnée, courtes reprises du début à la fin). Il me semblait important que la musique ne sonne pas à tout prix comme du jazz, mais qu’elle puisse rester « stylistiquement » autonome.
Pour le premier mouvement « Churning » (agiter, tournoyer), j’ai écrit mon propre standard qui est comme un point de repère pour tout le mouvement, mais qui n’est jamais véritablement joué tel quel. Le matériau harmonique reste identique à chaque reprise, il s’enrichit, se raccourcit ou se fragmente, mais n’est jamais substitué. On peut donc dire que j’improvise avec des techniques « compositionnelles » comme un musicien de jazz improvise avec une séquence harmonique.
Dans « Tide » (marée), il ne reste que la trame rythmique, mais les sonorités s’éloignent des modèles jazz et se manifestent comme un flux et reflux imprévisibles et permanents, sans jamais cependant quitter le cadre de la forme.
Si je n’aime pas trop commenter « Steeplechaser », c’est qu’une blague ne fait plus d’effet si on l’explique ! Le steeplechase est une discipline olympique et la première partie du titre est le nom d’une pièce célèbre de Theloniuos Monk. Sa forme constitue un blues de 12 mesures (comme chez Monk), mais j’ai pris garde de ne pas tomber dans le piège en évitant des rencontres trop étroites avec « les Sharks » et « les Jets »...
Quand on joue un ragtime très rapidement (ce qui aurait d’ailleurs déplu à Scott Joplin), il se transforme en calypso. Dans « Calypso-Rag » le piano I commence par un calypso et le piano II le rejoint une mesure plus tard avec un ragtime joué à 1/3 de vitesse. Dans un espace-temps illimité, c’est comme si Charles Ives invitait Scott Joplin et Tito Puente à se présenter dans deux concerts simultanés, mais qu’Elliott Carter exigeait qu’ils établissent des relations de tempi bien précises entre eux !
« Concentration » n’est rien d’autre qu’une paraphrase de « I concentrate on you » de Cole Porter. Dans les huit premières mesures le thème original est bien évident, quoique la tonalité soit déjà assez instable. Puis, la pièce se distancie vraiment de l’univers harmonique de Cole Porter et se concentre sur quelques intervalles fixés à la fin ; elle s’achève sur les mêmes mi bémols graves du début du premier mouvement. (Stefan Wirth)
Standards est une commande de la Fondation STEO.