Oeuvres
Kafka-Fragmente op. 24 (1985-1987)
György Kurtág + Biographie
pour soprano et violon
Cette œuvre est la plus longue que Kurtág ait composée qu'à ce jour. Il s'agit d'un cycle pour soprano et violon, sur des textes de Franz Kafka, tirés du journal ou des lettres de l'écrivain, ainsi que des Préparatifs de noce à la campagne. Un seul fragment, dû à Elias Canetti, fait exception. Il est dédié à la mémoire du grand poète hongrois, Janos Pilinszky, et n'est pas sans rappeler le quatrième des lieders sur des poèmes de celui-ci ; par son rvthme heurté, entrecoupé de silences, la musique représente la démarche hésitante et titubante d'un jeune enfant ; métaphore particulièrement frappante de l'impossibilité à raconter, voire de parler. Car ces fragments portent bien leur titre, quelques mots, tout au plus quelques phrases, pour créer des microcosmes dont la juxtaposition n'atteindra jamais le bonheur de la narration.
Pourtant, certaines pièces prennent des dimensions importantes, allant jusqu'à constituer de véritables scènes. Celle qui clôt la troisième partie de l'œuvre fournit le prétexte à un interlude plein d'humour. « Je priais en rêve la danseuse Eduardowa de bien vouloir danser encore une fois la csardas (...). La danseuse Eduardowa, fervente de musique, circule, en tramway comme partout, accompagnée de deux violonistes qu'elle fait jouer souvent (...) ». Kurtág saisit l'occasion de cette anecdote — rapportée par Kafka à la suite d'une représentation des ballets russes à Prague en 1910 — pour caricaturer gentiment la musique tsigane (ou prétendue telle), avec son vibrato exagéré, et pour citer une valse de fanfare du compositeur roumain, Josif Ivanovici, qui connut un certain succès dans les salons de la fin du XIXe siècle. La partition fait également intervenir deux autres « personnages » cachés pour l'auditeur, et empruntés cette fois, à Robert Schumann : Eusebius et Florestan indiquent à l'interprète le caractère tour à tour placide ou fougueux de la musique. La théâtralité, généralement confinée aux gestes vocaux dans la plupart des œuvres de Kurtág, prend exceptionnellement la forme de la pantomime dans Ruhelos : la chanteuse doit « suivre les acrobaties et l'emportement du violoniste avec une tension croissante » jusqu'à prononcer l'unique mot de la pièce véritablement sans voix !
Mais les Kafka-Fragmente sont, avant tout, une œuvre intimiste, proche du ton de la confession. Dans la pièce intitulée « Stolz » : le texte évoque les souffrances de l'artiste, que Kurtág, travaillant lentement et avec une rare exigence, ne connaît que trop : « Je ne laisserai pas la fatigue s'emparer de moi. Je sauterai en plein dans ma nouvelle, et dussé-je en sautant me couper le visage »; le compositeur commente avec humour : « Promesse à Zoli Kocsis : il y aura un concerto pour piano » (auquel Kurtág travaille depuis 1980). Le dernier fragment, avec son atmosphère onirique, est peut-être le plus remarquable. Des cris d'oiseaux à la lente reptation, la partie de violon et la ligne vocale témoignent d'une richesse d'invention inépuisable dans la figuration.
Le musicien est particulièrement attentif à l'intelligibilité du texte : jamais il ne le décompose en phonèmes ; jamais le sens n'est disséminé en sonorités consonantiques ou vocaliques goûtées pour elles-mêmes. La syntaxe, surtout, est traitée avec un réel respect, et donne naissance à des formes musicales toujours singulières. Lorsqu'une voyelle, exceptionnellement, s'arrache à cette architecture, c'est le texte du septième fragment qui le veut ainsi : « S'il a toujours des questions à me faire. » Le « ai » : détaché de la phrase, vola au loin comme une balle sur la prairie. (© Peter Szendy, Ircam - Centre Pompidou, http://brahms.ircam.fr)
Pourtant, certaines pièces prennent des dimensions importantes, allant jusqu'à constituer de véritables scènes. Celle qui clôt la troisième partie de l'œuvre fournit le prétexte à un interlude plein d'humour. « Je priais en rêve la danseuse Eduardowa de bien vouloir danser encore une fois la csardas (...). La danseuse Eduardowa, fervente de musique, circule, en tramway comme partout, accompagnée de deux violonistes qu'elle fait jouer souvent (...) ». Kurtág saisit l'occasion de cette anecdote — rapportée par Kafka à la suite d'une représentation des ballets russes à Prague en 1910 — pour caricaturer gentiment la musique tsigane (ou prétendue telle), avec son vibrato exagéré, et pour citer une valse de fanfare du compositeur roumain, Josif Ivanovici, qui connut un certain succès dans les salons de la fin du XIXe siècle. La partition fait également intervenir deux autres « personnages » cachés pour l'auditeur, et empruntés cette fois, à Robert Schumann : Eusebius et Florestan indiquent à l'interprète le caractère tour à tour placide ou fougueux de la musique. La théâtralité, généralement confinée aux gestes vocaux dans la plupart des œuvres de Kurtág, prend exceptionnellement la forme de la pantomime dans Ruhelos : la chanteuse doit « suivre les acrobaties et l'emportement du violoniste avec une tension croissante » jusqu'à prononcer l'unique mot de la pièce véritablement sans voix !
Mais les Kafka-Fragmente sont, avant tout, une œuvre intimiste, proche du ton de la confession. Dans la pièce intitulée « Stolz » : le texte évoque les souffrances de l'artiste, que Kurtág, travaillant lentement et avec une rare exigence, ne connaît que trop : « Je ne laisserai pas la fatigue s'emparer de moi. Je sauterai en plein dans ma nouvelle, et dussé-je en sautant me couper le visage »; le compositeur commente avec humour : « Promesse à Zoli Kocsis : il y aura un concerto pour piano » (auquel Kurtág travaille depuis 1980). Le dernier fragment, avec son atmosphère onirique, est peut-être le plus remarquable. Des cris d'oiseaux à la lente reptation, la partie de violon et la ligne vocale témoignent d'une richesse d'invention inépuisable dans la figuration.
Le musicien est particulièrement attentif à l'intelligibilité du texte : jamais il ne le décompose en phonèmes ; jamais le sens n'est disséminé en sonorités consonantiques ou vocaliques goûtées pour elles-mêmes. La syntaxe, surtout, est traitée avec un réel respect, et donne naissance à des formes musicales toujours singulières. Lorsqu'une voyelle, exceptionnellement, s'arrache à cette architecture, c'est le texte du septième fragment qui le veut ainsi : « S'il a toujours des questions à me faire. » Le « ai » : détaché de la phrase, vola au loin comme une balle sur la prairie. (© Peter Szendy, Ircam - Centre Pompidou, http://brahms.ircam.fr)
Concerts SMC Lausanne
Lundi 21 Février 2011 (Saison 2010-2011)
Duo Caroline Melzer et Nurit Stark
+ Programme complet
+ Programme complet